Ma vie de marin de commerce

Publié le par momo2644

Amour / Troc

Livraison particulière

En descendant l'Afrique de Gibraltar au Cap, deux jours de navigation après Dakar, nous passions l'Equateur, mais une journée seulement après nous devions remonter un bras de mer qui nous amenait dans une crique déserte, sans hangar ni rien qui justifiait un port.

Pourtant il nous fallait décharger du matériel, et toute sorte de fret. La consigne était de se faire entendre à l'aide de notre corne de brume pour signaler notre arrivée aux destinataires de ce que nous devions livrer.

Et en effet, après quelques minutes d'attente, des camions descendaient des collines aux alentours, avec des hommes ramassés en cours de route pour assurer la main-d'œuvre.

La signalisation par la corne de brume prévenait également la gent féminine qui, par de petites barques, venaient accoster au flanc du navire, à l'opposé de la terre ferme, pour deux raisons: d'abord il n'y avait pas de coupée (passerelle), les marchandises étaient déchargées avec les palans du bord, pratiquement personne ne montait n'y ne descendait du cargo, si besoin était, seule une échelle de corde assurait la liaison, et ensuite, ces dames ne voulaient pas se faire voir des hommes assurant le déchargement, car elles risquaient de croiser frères, pères, et pire encore, maris. Je ne vous décrirai pas les scènes qui auraient pu se créer si tel avait été le cas.

Donc nous voici avec une barque entière de jeunes femmes du pays venant vendre leurs charmes. Elles sont debout, faisant des grands signes pour se faire remarquer. La coutume veut que pour plaire au futur, elles soient sur leur trente et un, chevelure comprise, à savoir des aiguilles à tricoter dans les cheveux mêlés de boue et savamment arrangés.

Du bastingage de notre bateau au niveau de l'eau, il pouvait bien y avoir une dizaine de mètres, mais cela ne leur faisait pas peur, dès que l'un de nous en désignait une, elle se faisait une joie de grimper à bord par une amarre. Si par hasard, au fur et à mesure qu'elle montait on s'apercevait que sa beauté laissait à désirer, alors que vue d'en bas elle était dirons-nous acceptable, il nous suffisait de balancer violemment l'amarre, pour que notre acrobate d'un moment ne tombe, à la grande joie des autres, car cela voulait dire que notre choix allait se porter sur une prochaine qui subirait le même sort si sa "beauté" vue d'en haut n'était pas la même que vue d'en bas.

Mais l'un dans l'autre, à part quelques plongeons malheureux, tout le monde trouvait chaussure à son pied si je puis m'exprimer ainsi.

Ne possédant par ailleurs pas d'argent local, le paiement était assuré par un troc aussi divers que varié, savonnettes, lait concentré, alcools, cigarettes; j'ai pour ma part passé un agréable moment contre une paire de sandales et deux boîtes de lait concentré.

N'allez pas croire que le plaisir était fonction de la donation. Dès que nous étions d'accord sur le prix, les filles se donnaient à fond dans leur échange amour/ troc. Je veux dire par là que la dame ayant reçu en échange de son corps une cartouche de cigarettes, des bouteilles d'alcool et plein d'autres choses encore, n'en faisait pas plus que celles qui ne recevaient que quelques boîtes de lait concentré. Une fois le marché conclu, nous étions assurés de leur générosité amoureuse.

Publié dans Aventures vécues

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